Chemise blanche sur veste noire, teint hâlé et regard absent : Gilles Crépin, le gérant du bar Le Starter, comparait ce lundi devant le tribunal correctionnel de Clermont-Ferrand pour « homicide involontaire par violation manifestement délibérée d'une obligation de sécurité ou de prudence ». Une première dans la région.
C'est dans son établissement clermontois, le 25 octobre 2014 qu'un client, Renaud P., a bu consécutivement cinquante-six petits cocktails alcoolisés, appelés shooters. Cet habitant de Cébazat, âgé de 56 ans, avait ensuite sombré dans un coma éthylique profond, avant de décéder, quelques heures plus tard, au CHU.
À l'issue de l'enquête de police, le patron, âgé de 47 ans, a été renvoyé devant la justice. Le parquet de Clermont-Ferrand lui reproche d'avoir continué à servir de l'alcool à une personne manifestement ivre, et d'avoir, à ce titre, une responsabilité dans la mort de Renaud P. Lors de l'audience, hier, le prévenu a nié sa responsabilité. « Il ( NDLR, la victime) était incontrôlable. Avec un serveur, on lui a dit d'arrêter de consommer. On a fini par inscrire 56 shooters sur l'ardoise car on ne savait pas comment l'arrêter », assure-t-il. « Vous n'avez rien à vous reprocher ? », questionne le président. « L'erreur, c'est l'ardoise où étaient inscrits les records à battre : ça pouvait inciter à la consommation », soupire le commerçant.
Pour le reste, le quadragénaire, ancien menuisier, minimise. La deuxième tournée de trente shooters ? « Je pensais qu'ils allaient les boire à cinq. » Les douze derniers ? « Il y avait des softs (boissons sans alcool) dedans ». Pour M e Portal, l'avocat de la fille de la victime, partie civile, « la violation existe dès que les trente premiers shooters sont servis, mais c'est encore plus évident quand les douze autres suivent ».
Le procureur de la République Alain Durand dit ne pas vouloir « faire d'exemple ». « Mais un patron de bar a des obligations particulières, rappelle le magistrat. Celui-ci est devant le tribunal car les faits montrent qu'il n'a pas respecté les consignes et qu'en se comportant ainsi, il a involontairement causé la mort d'un homme. » Selon le parquet, si la soirée a viré au drame, c'est parce qu'il « a manqué dans ce bar un modérateur dont le rôle doit être incarné par le gérant. Jamais il n'avait le droit de lui servir la dernière tournée ! » Il requiert six mois de prison avec sursis, 1.500 € amende et une interdiction d'exercer sa profession pendant cinq ans.
En défense, M e Renaud Portejoie plaide la relaxe, estimant que le client « n'est pas mort car il avait trop bu. Il avait des problèmes respiratoires, il a fait une fausse route […] Personne n'a commis de faute. » Le jugement a été mis en délibéré au 27 mai.
lamontagne.fr - Nicolas Faucon